C'était une de ces journées à fantômes. Une journée mélancolique à regarder ruisseler la pluie sur le carreau, du jazz passablement triste en fond sonore. Et j'ai dû fermer les yeux, l'espace d'un instant. Et tu sais, dans ces moments là, les yeux, quand tu les ouvres à nouveau, ils sont toujours un peu embués. Il n'a fallu que quelques impitoyables secondes pour que je te revoie faire ce rituel immuable qui me faisait tant sourire, lorsque tu versais religieusement un sachet de sucre roux à la surface de la mousse légère de ton cappuccino... J'ai revu chacun de tes gestes avec une effroyable netteté, jusqu'à la délectation qui accompagnait chaque cuillerée de ce nuage onctueux. J'ai repensé alors à ce baiser, cette fraction de seconde là. Et aux autres. Soudain, ma gorge s'est nouée, mes yeux m'ont brulé, comme s'ils avaient été frottés au papier de verre, et les écluses ont fini par céder.

Le mur a depuis longtemps volé en éclats. Et le tableau reste accroché. Un souvenir inamovible retenu à rien, flottant dans les limbes de la mémoire. Celui des jours heureux, ironiquement empreint de tristesse et de mélancolie. Cette même mélancolie qui se tapit dans l'ombre, prête à surgir au détour d'un café. Et j'ai l'impression que mon coeur, dans ces moments là, s'arrête de battre. Une fraction de seconde.